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    Bien vivre l'allaitement est un livre écrit par Madeleine Allard et Annie Desrochers. Il est publié chez Hurtubise. Pour joindre les auteures
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Vivre l’allaitement … à deux mamans!

Vous êtes vous déjà dit qu’il serait pas mal chouette parfois que votre homme puisse allaiter votre bébé? Vous êtes vous même déjà dit qu’il serait parfois pratique de confier votre bébé à une autre allaitante? Vous êtes vous déjà dit que si vous adoptiez un enfant, vous aimeriez l’allaiter?

Voici un témoignage tout à fait unique. Celui de Carole qui, avec sa conjointe,  a eu un bébé qu’elles ont toutes deux décidé d’allaiter tour à tour. Un témoignage qui pose les questions essentielles de l’attachement parent enfant, du rôle affectif de l’allaitement, et qui prouve (si preuve il y avait à faire) que l’allaitement, c’est bien plus que du lait.

Si vous voulez en connaître plus sur leur histoire, Carole tient aussi un blog sur lequel elle raconte le quotidien de leur vie de famille.

Vous êtes un couple lesbien. Pouvez-vous nous raconter un peu votre histoire? Pourquoi avez-vous décider d’avoir un bébé?

Nous avons toujours voulu des enfants mais nous avons voulu prendre notre temps avant de commencer les démarches. Pendant 3 ans, nous avons dit que nous allions commencer dans 2 ans ! Et puis un jour, l’envie est devenu plus forte, plus évidente, et nous avons enfin sauté le pas. Comme beaucoup de couples, nous attendions LE bon moment, jusqu’à se rendre compte qu’il n’arriverait probablement jamais.

Pour nous, notre homosexualité n’a jamais signifié de faire une croix sur notre envie de fonder une famille. Nous la voulons grande et pleine de vie !

Nous nous faisons souvent demander comment nous avons choisi qui, de nous deux, allait porter notre premier enfant. Le choix a été relativement simple puisque lors de nos premières conversations, il était clair que Mariannick voulait vivre une grossesse, alors que pour moi, même si je voulais des enfants, la grossesse n’était pas une nécessité, et je songeais sérieusement à l’adoption. Nous nous sommes donc dit que Mariannick allait porter notre premier et que allions voir pour les suivants.

Depuis, mon point de vue a pas mal changé : le prochain, ce sera moi qui vais le porter. Voir Mariannick enceinte m’a vraiment donné envie de vivre cette fantastique aventure à mon tour ! J’ai hâte de pouvoir, à mon tour, sentir bouger un petit être dans ma bédaine ! Nous nous laissons un peu de temps avant de commencer les inséminations de nouveau. Pour info, nous allons utiliser le sperme du même donneur pour toutes nos inséminations. Et notre donneur est à identité ouverte, c’est à dire que nos enfants auront la possibilité de prendre contact avec lui à leur majorité.

Vous n’avez pas porté vous-même le bébé, mais vous l’allaitez tout de même (en plus de votre conjointe). Pourquoi avez-vous pris cette décision?

Mariannick avait déjà entendu parler de cette possibilité il y a quelques années et lorsqu’elle m’en a parlé, j’ai tout de suite trouvé l’idée fantastique ! Avoir la possibilité d’avoir ce lien si intime avec notre enfant m’a enthousiasmée ! La possibilité de pouvoir se relayer pendant les poussées de croissance et les nuits a aussi été une raison importante dans notre décision. Je dois bien dire qu’à chaque fois qu’on parle de notre situation à des mamans, nous faisons des envieuses ! Mariannick a pu avoir assez rapidement des temps de pauses bien méritées. Et j’ai eu de superbes soirées en tête à tête avec mon fils !

L’une des difficultés que j’ai ressentie lors de la grossesse et à la naissance de Ludovic a été de trouver ma place. Je suis bien entendu une maman, mais pas totalement une maman dans le sens habituel du terme : je n’ai pas porté, et je ne suis pas celle qui reste à la maison pour prendre soin de notre fils. Je ne suis bien entendu pas un papa ! Et pourtant, combien de fois me suis-je sentie obligée de lire les sections « papa » dans les livres avant la naissance de Ludovic ! Je ne m’y suis jamais reconnue, mais c’était tout ce s’offrait à moi. Il y a bien entendu des choses en commun, car je suis tout de même « l’autre parent » du couple, mais je ne crois pas avoir la même relation avec Ludovic qu’un père peut avoir avec son enfant. Il a bien fallu s’adapter et trouver ma place : celle de l’autre maman de Ludovic. Et l’allaitement a grandement aidé à tisser des liens avec mon fils et à trouver cette place au sein de notre nouveau trio.

Expliquez-nous, en gros, le processus d’induction de l’allaitement.

Le protocole que j’ai suivi (celui des Dr. Newman et Goldfarb) est assez simple en soi : quelques mois avant la naissance de l’enfant (ou de l’arrivée de celui-ci, lors d’une adoption), il faut commencer à prendre une pilule contraceptive en continu, c’est-à-dire sans les comprimés de sucre. Cela va permettre de maintenir un taux d’oestradiol continu dans le corps. Cette hormone est sécrétée pendant toute la grossesse et permet, entre autres, de préparer les tissus mammaires pour une lactation. Le plus tôt est le mieux pour le début du traitement, mais je n’ai commencé que 1 mois et demi avant la date prévue de l’accouchement et cela a fonctionné à merveille.

En parallèle de la pilule, il faut prendre des cachets de Dompéridone, un médicament dont l’un des effets secondaires est de créer une montée de lait. La prise des deux médicaments prépare le corps à produire du lait. Dès que l’on veut que la montée de lait commence, il faut arrêter la pilule, afin de diminuer le taux d’oestradiol dans le corps, et commencer à stimuler. La montée de lait peut prendre jusqu’à plus d’une semaine. Pour ma part, ça a été très rapide, puisque dès la première stimulation, j’ai vu des premières gouttes de lait et que la montée de lait elle-même est arrivée deux jours après. Les feuilles de choux froides et le tire-lait ont été mes amis puisque ma montée de lait est arrivée quelques jours avant l’arrivée de Ludovic ! J’ai été en effet obligée d’arrêter la pilule avant la date que nous nous étions fixées car je ne la supportais plus vraiment bien.

Ensuite, la lactation fonctionne comme n’importe quelle lactation : c’est la loi de l’offre et de la demande ! Nous avons donc fait des réserves de lait au congélateur puisque Mariannick a allaité seule la première semaine. Pourquoi ? Parce que l’induction de la lactation ne permet pas de produire de colostrum, et que nous voulions que la montée de lait de Mariannick ne soit pas diminuée par le fait que j’allaite moi aussi.

Et dans le quotidien, comment ça se passe?

Mariannick est le 4L et je suis la petite pinte de 1L ! On se dit aussi que je suis le petit en-cas et Mariannick est le buffet.

En fait, Mariannick est l’allaitante principale, puisque c’est elle qui est en congé de maternité. Je suis restée à la maison pendant deux mois environ, ce qui nous a permis beaucoup de flexibilité. Nous allaitons à la demande et c’était donc celle qui était disponible quand Ludovic avait faim qui donnait le boire. Bien entendu, nous avons fait attention à respecter un certain nombre de stimulations par jour pour chacune. La nuit, je prenais un ou deux boires, dépendant de qui se réveillait en premier. Ça a été vraiment pratique lors des fêtes de Noël : nous nous partagions les soupers de famille afin que l’une d’entre nous puisse profiter un peu du bon vin ! Nous sommes parties en voyage en France pour Noël, afin de présenter Ludovic à mon côté de famille. Vous pouvez vous imaginer la tête des passagers de l’avion et du train quand ils me voyaient allaiter Ludovic alors que c’était Mariannick qui avait donné le boire d’avant ! Je pense que nous avons suscité beaucoup de curiosité !

J’ai repris le travail à temps plein au mois de janvier, ce qui a fait beaucoup diminuer le nombre de stimulations quotidiennes. En général, je donnais un boire le matin avant de partir et un en rentrant le soir (j’avais alors très hâte de rentrer à la maison, car mes seins étaient plutôt gorgés !). Je continuais de donner un boire la nuit également. Pour des raisons pratiques, j’ai décidé de ne pas tirer mon lait au travail, car je trouvais cela trop lourd à gérer. Bien entendu, pendant tout ce temps, j’ai continué à prendre de la Dompéridone, mais en diminuant la quantité petit à petit.

Vers 3 mois 1/2, Ludovic a commencé à ne plus vouloir que ce soit moi qui l’allaite. Dès que je le mettais au sein, il se tortillait comme un beau diable et se mettait à pleurer ! Difficile pour le cœur de maman ! Nous avons trouvé que si Mariannick le mettait au sein puis me le passait, il n’y avait alors aucun problème et il prenait tout son boire sur moi ! Étrange ! Mais au moins nous avions une solution.

Malheureusement, cela a fait que mon nombre de stimulations à petit à petit diminué, pour n’être qu’à deux voire une par jour. Ma production a donc elle aussi lentement diminué, pour être quasiment finie à l’heure actuelle. J’ai donc pris la décision de ne plus prendre de Dompéridone et de ne plus allaiter. Ça m’a pris au moins deux semaines avant de me sentir à l’aise avec cette décision, mais cela m’a en même temps permis de trouver comment passer de beaux moments avec mon fils, même si je n’allaite plus. Le fait qu’il ne veuille plus de mon lait m’a beaucoup stressée, car je ne savais plus vraiment bien comment recréer ce lien entre nous deux, et comment aider Mariannick. Je pense qu’il ressentait ce stress quand je m’occupais de lui et avait parfois tendance à partir en gros pleurs, que seule maman Mariannick pouvait arrêter. Aujourd’hui, je sens que notre relation évolue et que nous nous découvrons différemment. C’est très agréable !

Qu’est-ce que ça vous apporte personnellement?

Pouvoir allaiter mon fils m’a apporté beaucoup de bonheur. Des petits bonheurs au quotidien, mais aussi une très grande fierté d’avoir pu mener ce projet d’allaitement double à terme. Comme je l’ai précisé précédemment, cela m’a aussi beaucoup aidée à trouver ma place au sein de notre famille. J’ai trouvé cela tellement valorisant de pouvoir nourrir mon fils ! C’est incroyable comme on peut se sentir totalement femme, totalement maman quand ce petit être tète, blotti contre vous. Je n’ai pas donné la vie, mais je contribue à la maintenir en santé et à la faire grandir.

Pour certains membres de ma famille (surtout mes grands-parents en fait) me voir allaiter les a aidés à me voir comme une maman à part entière. Il y a bien entendu eu un petit moment de surprise, mais cela leur a fait comprendre que, moi aussi, je suis la maman de Ludovic, et qu’il est donc vraiment leur arrière-petit-fils !

Cet allaitement, je l’ai pris comme un cadeau (même si je ne voyais pas toujours ça comme ça à 3h du matin…) : un cadeau de la nature tout d’abord, me permettant de pouvoir produire du lait, et un cadeau de ma blonde, qui m’a permis de partager ces beaux moments avec elle. C’est toujours avec une grande fierté que je parle de mon allaitement et j’espère que ce témoignage pourra aider certaines femmes à tenter la même aventure que nous.

8 Réponses

  1. Chère Carole,

    Je te reconnais bien dans cet article: ouverte d’esprit, curieuse intellectuellement, géniale (bien sûr !) hyper généreuse et très aimante envers Ludovic et Mariannick. Je souhaite sincèrement que cet article incite d’autres femmes à tenter l’aventure de l’allaitement d’un bébé qu’elles n’ont pas porté mais qu’elles aiment.

  2. C est un très beau témoignage et une très belle histoire. Je vous souhaite une belle vie de famille et beaucoup de bonheur. Audrey

  3. moi je n’ai qu’un mot, WOW!!! Félicitation!!!

  4. Une histoire aussi belle que surprenante ! Bravo !

    En revanche, je suis un peu perplexe quant au détournement de l’utilisation d’un médicament (Dompéridone), pratique qui semble se banaliser.
    N’est ce pas un peu dangereux d’en parler de la sorte, laissant ainsi penser que c’est un acte anodin ne comportant aucun risque pour la santé de la mère ou de l’enfant qui reçoit ce lait… ?

  5. Bonjour Gaelle,

    En fait, le protocole suivi par Carole est élaboré par des professionnels de la santé, il est donc considéré comme étant sécuritaire pour la mère et le bébé.

    Au Canada, la Dompéridone est prescrite par les médecins et utilisée par les femmes pour induire la lactation depuis des années. Il permet à des mères de poursuivre et faciliter un allaitement difficile ou encore, à des femmes comme Carole, de vivre une expérience maternelle riche et unique qui n’aurait pas pu être sans cette aide pharmacologique.

    Ceci dit, l’utilisation de la Dompéridone doit se faire dans des cas bien particuliers et effectivement, il y a un risque que des médecins qui connaîtraient mal les principes de la lactation, soient tentés de prescrire ce médicament au-lieu de d’abord aider une femme à optimiser ses techniques d’allaitement. Ce qui n’est pas le cas qui nous occupe ici, évidemment.

    Nous vous dirons cependant qu’en ce moment, c’est plutôt le contraire qui arrive: les femmes trouvent encore trop peu de soutien lorsqu’elles vivent une insuffisance de lait, réelle ou perçue…

    Pour cette raison, nous croyons toujours que le fait de dire est certainement moins dangereux que celui de taire.

    Si vous souhaitez en savoir plus sur la Dompéridone, nous avons écrit un billet sur le sujet il y a quelques semaines:

    Controverse sur la dompéridone (encore)

  6. Bonjour à toutes,

    juste pour compléter les précédents propos. Pour les inquiètes ou les visionnaires (l’avenir nous le dira), il existe d’autres moyens d’induire la lactation sans avoir passer par des produits pharmaceutiques destinés à d’autres utilisations. Tisanes, stimulations…cela fonctionne peut-être moins vite, mais reste efficace même pour des mamans qui adoptent.
    Il faut aussi ajouter que le mental, la volonté sont très importants (et c’est bien le cas de cette belle histoire). Enfin, il faut absolument s’entourer de personnes bienveillantes et compétentes ou au moins sans à priori sur l’allaitement . De nombreuses idées fausses circulent (lait pas assez calorique notamment, temps de tétée, rythme des tétées) et gâchent beaucoup de merveilleux moments à passer avec son enfant.

    • Bonjour Hélène,
      en parallèle de la Dompéridone, j’ai également pris du fenugrec et du chardon-bénit, ce qui m’a permis de diminuer la quantité de Dompéridone que je prenais. Par contre, toutes les conseillères en lactation que j’ai rencontré m’ont recommandé d’induire la lactation avec le protocole que j’ai utilisé. Selon elle, le taux de réussite avec des produits naturels est plus faible. Connais-tu un protocole utilisant juste de tels produits ? Je serais très intéressée car je suis plutôt frileuse à prendre des médicaments en général, surtout si une solution plus naturelle existe.
      Pour ce qui est des idées fausses, c’est entièrement vrai ! J’ai surpris une discussion entre le pédiatre et un infirmière lors de notre séjour à la maternité. Il avait de gros doutes sur l’allaitement double et pensait que cela allait empêcher l’allaitement de Mariannick. Beaucoup de gens (et parfois même des professionnels) pensent également que mon lait de pouvait pas être bon pour Ludovic vu que je ne suis pas sa maman biologique.

  7. Il me semblait que je reconnaissais le petit bonhomme. J’ai fait de la zumba avec Mariannick!!! Bravo, vous êtes inspirantes!!!
    Marie-Pier

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